La vallée de la Roya | Haute Roya
La Roya est la vallée qui délimite à l’est le massif des Alpes-Maritimes et dont les eaux se jettent dans la Méditerranée, à Vintimille, en territoire italien.
Lorsqu’on remonte en voiture la vallée, au fond des gorges étroites, on s’aperçoit que la frontière joue ici à saute-mouton avec le torrent, tantôt en France, tantôt en Italie. D’ailleurs un parfum d’Italie flotte ici et s’intègre à chaque chose, imprégnant les villages et les paysages d’une subtile alchimie de gaieté, de rigueur, de chaleur.
La haute Roya, c’est aussi d’extraordinaires villages perchés, accrochés à la falaise, lumières qui veillent pleines de vie, arrachant quelques espaces fertiles à ce relief rugueux, torturé, hostile ; des habitants attachés à leurs terres comme le marin à son navire, loin de la folie et de l’hypnose du monde moderne, comme si les ans n’avaient pas eu de prise sur eux.
Côté amont, la haute Roya débute au col de Tende. Un des plus importants col des Alpes – un des plus «grands passages des Alpes», dirait Samivel – lieu stratégique doté, entre les deux guerres, d’un système de fortifications qui étonnera le visiteur.
Le col de Tende fut donc, de tout temps, un lieu de passage très important. Avant la construction de la route actuelle il fallait emprunter l’ancienne qui monte au col géographique, une route vertigineuse avec 72 lacets. Ici, au siècle dernier, passaient les caravanes de mulets assurant les échanges commerciaux entre la France et l’Italie.
Ce fut aussi le passage, quasi obligé, de la route du sel, entre la Provence et le Piémont. Une puissante famille de seigneurs, dont l’autorité marquera profondément la vallée, édifia longtemps sa fortune sur les droits de passage : il s’agit de la famille Lascaris, à laquelle nous sommes redevables de pouvoir contempler aujourd’hui les extraordinaires trésors que cette vallée recèle.
En descendant du col de Tende, le premier village que l’on rencontre est Tende. Pénétrant dans le village, on a la sensation de faire un bond dans le passé : ruelles étroites, aux passages voûtés, donnent l’impression d’entendre résonner le pas des mulets ou les clous des godillots.
On découvre aussi de curieux linteaux de portes en schiste, vert ou noir, ornés de sculptures parfois étranges, énigmatiques, grosses d’exorcismes.
Il faut aussi absolument voir et entendre, à la collégiale de Tende, l’orgue de Serassi – célèbre facteur d’orgues italien – qui surprendra par sa sonorité particulière. Quelques kilomètres en aval, rive gauche, se trouve la Brigue, ancien bourg romain qui s’appelait Brigantio. Il est dominé par les ruines du château et la tour des Lascaris, seigneurs des lieux du XIVe au XIV/XVIIIe siècle.
Au centre du village une église importante, qui date du XIIe siècle, renferme de véritables trésors : un retable de Bréa, un de la Renaissance italienne, un triptyque de l’école de Fossano, de superbes sculptures et l’orgue de Lingiardi. Magnifique village qui a gardé toute son âme et où l’on se dit qu’il fait bon vivre. D’ailleurs, tous ces pêchers qui entourent le village sont là pour témoigner du microclimat dont jouit la Brigue. Il faut dépasser le village pour découvrir Notre-Dame-des-Fontaines, située dans le vallon de la Levenza, ce qui veut dire l’endroit où se lève le soleil, lieu magique où apparaît l’astre bienfaiteur, souvenir sans doute d’une époque où sa disparition, le soir, plongeait les gens dans la terreur la plus totale, la nuit étant le domaine des démons. Le cadre où est bâtie la chapelle est, à vrai dire, enchanteur, un calme de paradis, une eau qui jaillit de toutes parts et étincelle au soleil. Cet endroit, qui relève un peu du merveilleux, semble être un très ancien lieu de culte.
A l’intérieur de la chapelle on découvre les fresques, d’une qualité exceptionnelle, qui ornent les murs : elles furent exécutées par Jean Canavesio, en 1492.
Un village marque l’entrée de la haute Roya, Saorge. Accroché à la montagne, tel un nid d’aigle. Saorge est aussi un village chargé d’histoire, et l’église Saint-Claude renferme également un orgue – dû à Lingiardi – absolument intact. La haute Roya, on vient de le voir recèle un extraordinaire trésor culturel.
La porte d’accès idéale de la haute Roya sur le massif du Mercantour et le parc se situe à Saint-Dalmas-de-Tende. Il faut emprunter la vallée qui s’ouvre au couchant, une vallée étroite qui débouche au pied du mont Bego. Sans doute est-ce cette même vallée qui était empruntée il y a quelques milliers d’années par des peuplades, probablement des Ligures, pour se rendre dans la vallée des Merveilles.
Sur plus de 12 kilomètres carrés se regroupent, autour du mont Bego, plus de 100 000 gravures datant de 1 800 et 1 500 avant notre ère. Le site a été, fait rarissime pour des montagnes, classé monument historique et le parc national du Mercantour l’a placé sous haute protection.
Ces gravures sont situées à plus de 2 000 mètres d’altitude au cœur du massif du Mercantour, dans les hauts vallons des Merveilles et de Fontanalbe.
C’est le mystère entourant leur origine qui a valu à la région le nom de Merveilles. Les gravures sont toutes stylisées. Il semble qu’il s’agisse d’ex-voto gravés lors d’assemblées religieuses au pied du mont Bego. Ces assemblées étaient probablement constituées de peuplades refoulées dans les montagnes vers le deuxième millénaire avant J.C. Elles présentent une parenté étroite avec celles du val Germanasca dans les Alpes cottiennes et surtout celles du val Camonica au nord de Brescia.
L’étude systématique des inscriptions fut entreprise par Clarence Bicknell, un botaniste anglais hivernant à Bordighera. Ses travaux s’échelonnent de 1881 à 1918, date de sa mort dans sa villa de Casterino. Les Italiens Barochelli et surtout Carlo Conti poursuivirent ses travaux. Carlo Conti fit des relevés systématiques grâce à des dessins et quelques moulages en plâtre et marqua d’un C, gravé dans la pierre, toutes les gravures répertoriées par lui. Aujourd’hui, le professeur Henri de Lumley continue les recherches. Le rocher du Chef de Tribu, victime des outrages du temps et de déprédations humaines, a été enlevé de son site d’origine pour être désormais exposé au musée des Merveilles, à Tende ; il a été remplacé par un moulage très fidèle en résine.
Comme on peut le voir, la vallée de la haute Roya n’a guère d’équivalent dans les Alpes : occupée depuis l’âge du bronze de manière indiscutable, elle abrite un tel patrimoine qu’elle est un des endroit les plus riches d’Europe. Pourtant tout ceci ne devrait pas masquer la formidable richesse naturelle des montagnes. Le parc du Mercantour a d’ailleurs, dans ce sens, mis en place au-dessus du refuge des Merveilles un circuit d’interprétation du paysage qui présente un grand intérêt. Il cherche à sensibiliser le visiteur ou le randonneur initié à l’originalité, à la beauté et à la richesse de la formation de son environnement.
Le jardin alpin de Casterino, vitrine de la végétation subalpine des Alpes du Sud, a été créé dans le même esprit.
Ici, le monde hostile de la haut montagne se révèle, un monde plein de contrastes et de charmes.
Trois vallons constituent les portes d’entrée. Le premier s’ouvre sur le lac des Mesches, lac qui a pour origine une retenue artificielle. Tout autour du lac, de vastes parkings attestent la fréquentation que peut connaître le vallon de la Minière, porte d’accès au refuge des Merveilles.
Plus haut dans la vallée se niche, au creux d’un écrin de verdure, le petit hameau de Casterino. Ici, tout rappelle au visiteur la proximité de la vallée des Merveilles ; ses gravures, pôles d’attraction sans pareils, font du refuge un des plus fréquentés des Alpes.
Ici le Dieu Bego veille, et apparemment il veille bien, l’endroit est sympathique et accueillant.
C’est à l’ouest de Casterino que s’ouvre le vallon de Fontanalbe. Ici le mélèze est roi et semble particulièrement apprécier les lieux. Le Mélezin est traversé par l’ancienne piste militaire, qui est par endroit pavée, et les mélèzes au bord semblent former une haie d’honneur pour le randonneur. A l’automne, les grands troncs nus et le roux de leurs aiguilles se mariant au dallage de la piste donnent une dimension poétique extraordinaire au lieu. Un peu plus haut que Casterino on découvre la Valmasque, la vallée des sorcières. D’où vient ce nom de sorcières ? Sans doute d’une lointaine croyance qui voulait que ce vallon fût hanté par les sorciers ou les esprits. Aujourd’hui, la vallée n’est jalonnée que de superbes lacs et d’un sympathique refuge au bord du lac Vert. La haute Roya, sans doute protégée par son relief, ne subira peut-être pas les agressions de la technologie et du modernisme.
Gageons que l’homme sache y voir une chance, non un handicap, car bien peu de régions ont su garder intacte non pas une portion de territoire mais une vallée entière. Et puis, comment ignorer la rive gauche de la Roya, où niche ce Marguareis sauvage, inconnu ? C’est une fantastique zone karstique, présentant une des plus fortes densités de gouffres au kilomètre carré, qui constitue un centre de spéléologie au potentiel inépuisable – parmi les plus importants d’Europe. Le Marguareis forme une entité écologique singulière, un lieu qui mériterait largement d’être intégré dans un parc national.